Un
groupe de musique débranché au milieu d’un refrain, la diffusion d’un match de
football interrompue arbitrairement, la projection d’une conférence sanctionnée
d’un écran noir : en Gambie, tous se plaignent de la distribution de
l’électricité.
La
capricieuse s’appelle la National Water and Electric Company (Nawec), quand
elle n’est pas affublée de noms d’oiseaux. La compagnie nationale d’eau et
d’électricité, censée fournir de l’énergie aux 2,1 millions d’habitants du plus
petit pays d’Afrique, a été rebaptisée par certains National And Wicked (« vicieuse
») Electric Company. En cas de coupure, c’est la double peine pour les Gambiens
puisque l’alimentation en eau dépend du courant électrique.
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«
On a les mêmes problèmes depuis l’indépendance », en 1965, se désole Martin
Mendy, qui construit une maison d’hôtes dans le quartier de Kololi. Laquelle
sera équipée d’un indispensable générateur, a-t-il déjà prévu. « Un
gouvernement devrait avoir deux priorités : l’eau et l’électricité », exige-t-il.
Depuis
qu’il a prêté serment le 18 février 2017, après la chute de l’autocrate Yahya
Jammeh, le président Adama Barrow n’a pas réussi à surmonter cette faiblesse
énergétique. Symbole de cet échec, le directeur de la Nawec, lui aussi en poste
depuis 2017, a été limogé à l’été. Après cinq mois aux manettes, son
remplaçant, Alpha Robinson, a laissé entendre qu’il ne ferait pas de miracle. «
La Nawec se détériore depuis plus de cinquante ans », a-t-il déclaré.
Une
usine électrique flottante turque
«
La population s’attend à ce qu’un changement de gouvernement entraîne une
amélioration des services à court terme », avait pourtant prévenu la Banque
mondiale dans un rapport sur la Gambie publié en mai 2018. Mais à Banjul, les
coupures d’électricité demeurent quasi quotidiennes. Et encore, la région de la
capitale gambienne, avec un taux d’électrification de 60 %, est bien mieux
lotie que le reste du pays, où 25 % de la population seulement est desservie,
selon la Banque africaine de développement.
L’urbanisation
croissante et la vétusté des infrastructures concourent à affaiblir le réseau
électrique. Par-dessus tout, la Nawec est une entreprise surendettée. Le
résultat d’années de mauvaise gestion, d’exemptions accordées à des entreprises
et institutions, et de la forte dépendance du pays au prix mondial du fuel. La
compagnie « n’est pas capable d’assurer la maintenance de base et encore moins
d’investir pour moderniser et développer le système électrique », précisait le
rapport de la Banque mondiale.
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Un
navire étranger est venu porter secours à Banjul au printemps 2018. Une usine
électrique flottante est alors amarrée à quelques mètres de la plage et des pirogues
de pêcheurs. Ce bateau turc du groupe stambouliote Karpowership est capable de
produire un tiers des capacités du réseau, mais doit repartir en 2020. D’ici à
2024, un grand projet de restauration et de modernisation du réseau électrique,
financé par des bailleurs internationaux, doit être achevé.
«
Le courant ça va, ça vient », résume avec sérénité Marie Kujabi, assise sur un
banc devant son petit atelier de couture. Hier soir et ce matin encore, le
quartier de Kololi est privé d’électricité. Seule la machine à coudre manuelle
est en service. C’est au tour de son fils de pédaler pour entraîner la courroie
et maintenir l’activité. Fatou, qui tient une petite épicerie équipée d’une
machine à glaces, est moins philosophe. « Pas d’électricité, pas de crème
glacée », se désole-t-elle, notant que les consommateurs boudent également les
boissons stockées au réfrigérateur.
Jusqu’à
cinq coupures par jour
Pour
éviter le chômage technique, certains cybercafés sont équipés de batteries de
voiture. Dans les épiceries, une fois la nuit tombée, les gérants font couler
un peu de cire sur le comptoir et collent des bougies en guise d’éclairage.
L’activité
touristique saisonnière pèse évidemment sur le réseau. Et les vacanciers sont
mis en condition dès leur arrivée à l’aéroport où le courant saute parfois
lorsqu’ils arrivent devant le tapis à bagages. Mais, privilégiés, les touristes
connaissent mieux le ronflement des générateurs que le charme d’une nuit aux
chandelles.
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Ces
coupures à répétition – jusqu’à cinq par jour – les « agacent » mais ne les
gênent pas outre mesure, assure Jim Johanson, vice-président de l’association
des hôteliers gambiens. « Ici, l’électricité est plus chère qu’en Europe »,
affirme-t-il, additionnant le prix du courant aux factures de fuel pour ses
générateurs.
Les
jours de pénurie, les sans-lumière se retrouvent sur les réseaux sociaux pour
laminer la compagnie nationale à coups de bons mots. « Ne me dites pas que ce
que nous fait subir la Nawec, ce ne sont pas des violations des droits de
l’homme », écrit l’un d’eux sur Twitter.
L’impopularité
de la compagnie des eaux et de l’électricité méritait bien une chanson. « Tu
ferais mieux de nous fournir de l’électricité, nous voulons voir la ville
briller », scande le rappeur gambien Baysic sur le morceau Lights On (Nawec).
Au milieu du morceau, la musique s’interrompt brusquement… victime, selon
l’artiste, d’une coupure d’électricité.