Alors
que les témoignages accablant d’anciens responsables gambiens se succèdent sur
les exactions commises sous le règne de Yahya Jammeh, un dossier emblématique a
refait surface : celui du meurtre du journaliste Deyda Hydara, en 2004. Son
fils, Baba Hydara, espère aujourd’hui que « justice sera enfin rendue ».
Le
16 décembre 2004, Deyda Hydara est abattu alors qu’il est au volant de sa
voiture, avec deux collaborateurs de The Point, le journal que le journaliste
gambien a fondé au début des années 1990. Au fil des ans, cet assassinat est
devenu l’un des dossiers emblématiques de l’ère Yahya Jammeh en Gambie, et
Deyda Hydara, qui multipliait les articles critiques à l’égard du régime, l’une
des icônes de l’opposition en exil jusqu’à la chute du maître de Banjul, en
janvier 2017.
Quinze
ans après les faits, devant la Commission vérité et réconciliation, le
lieutenant Malick Jatta a avoué avoir tiré sur le journaliste, mettant
également en cause deux autres « Junglers », ces soldats aux ordres directs de
Jammeh. Surtout, il a affirmé avoir reçu le lendemain du meurtre une «
enveloppe de dollars », récompense pour son forfait qui lui aurait été remise
par « un grand homme ». Poussé par l’un des membres de la Commission à se faire
plus précis, l’ancien « Junglers » en détention depuis le 8 février 2017 lâche
: « Pour moi c’était évident, cela venait de Yahya Jammeh ».
Une
accusation de plus visant directement l’ancien président gambien, actuellement
en exil en Guinée équatoriale, qui vient s’ajouter à une longue liste de
méfaits qui lui sont déjà attribués, des assassinats de migrants en passant par
les détentions arbitraires, disparitions forcées et assassinats commandités. Et
même des viols.
À
LIRE Yahya Jammeh accusé de viol : des « amazones » de Kadhafi aux « protocol
girls » de l’ex-président gambien
Si
ces aveux ne surprennent pas Baba Hydara, le fils du journaliste gambien
assassiné en 2004, il n’en espère pas moins qu’ils permettront, à terme, de
conduire l’ancien président gambien devant un tribunal, qu’il soit gambien ou
international.
Jeune
Afrique : Comment avez-vous réagi lorsque les militaires ont avoué avoir
assassiné votre père, lundi 22 juillet, devant la Commission vérité et
réconciliation ?
Baba
Hydara : Cet aveu n’est pas une surprise, mais une confirmation que ma famille
et moi attendions depuis une dizaine d’années. Nous avons toujours su que Yahya
Jammeh avait commandité l’assassinat de mon père, ce soir du 16 juin 2004. Mais
il n’en a pas moins été douloureux pour nous d’entendre ces mots dans la bouche
de Malick Jatta. Nous avions l’impression de revivre ce drame qui nous a frappé
il y a quinze ans.
Pourquoi
êtes-vous persuadé que l’assassinat de votre père a été commandité par Yahya
Jammeh ?
Mon
père était comme un poison pour le régime, dont Yahya Jammeh cherchait à se
débarrasser. Leurs relations se sont détériorées après le coup d’État de
juillet 1994, qui a permis à Jammeh d’accéder au pouvoir. Il a isolé le pays et
l’a plongé dans un chaos total. Il devenait de plus en plus difficile pour la
communauté internationale de savoir ce qu’il se passait en Gambie. Mon père,
qui était le fondateur du journal The Point, qui était également journaliste
pour l’Agence française presse (AFP) et correspondant de Reporter sans
frontières (RSF) dans le pays relayait tout ce qu’il s’y passait.
Yahya
Jammeh, gouvernait de manière autoritaire, en commettant de nombreuses
exactions. Il ne voulait pas cela se sache au niveau international. Maintenant
qu’il n’est plus au pouvoir, avec l’aide de la Commission, vérité et
réconciliation et d’autres ONG, le monde apprend un peu plus chaque jour la
réalité des atrocités commises par ce dictateur. Les viols récemment révélés
par Human Watch Rights, grâce aux témoignages de celles qui ont été surnommées
« Protocol girls », en sont un exemple.
UN
JOUR, JAMMEH FERA UNE ERREUR. IL SE RENDRA LÀ OÙ IL NE DEVRAIT PAS. CE JOUR-LÀ,
IL SE FERA ARRÊTER
La
Commission vérité et réconciliation, créée en 2017, a libéré la parole. De
nombreux aveux y ont été entendus. Pensez-vous que le travail de cette
commission débouchera sur quelque chose de concret ?
Evidemment
que je crois en l’efficacité de la Commission. Elle redonne de l’espoir à de
nombreuses victimes et familles de victimes. Justice sera enfin rendue, j’en
suis persuadé. Depuis sa création, nombreux sont ceux qui ont fait des aveux,
ont apporté des réponses importantes sur des questions que nous nous posions
jusqu’ici sur des événements qui se sont déroulés durant les 22 ans de
dictature de Yahya Jammeh.
Avec
cette commission, commence le processus de guérison pour de nombreuses victimes
et celle-ci est cruciale. Quant à la phase juridique, tous les accusés seront
jugés. Le gouvernement est d’ailleurs actifs à ce propos. Il a lancé de
nombreux mandats d’arrêts contre des hommes forts du pouvoir de Jammeh. Parmi
eux figure notamment Ousman Sonko, qui a été ministre de l’Intérieur et est
détenu depuis 2017 en Suisse.
À
LIRE Gambie : Ousman Sonko, l’ancien ministre de l’Intérieur de Yahya Jammeh,
sera-t-il poursuivi pour crimes contre l’humanité ?
Vous
réclamez que Yayha Jammeh soit traduit en justice. Selon vous, doit-il être
jugé par un tribunal gambien ou par la Cour pénale internationale (CPI) ?
Pour
l’instant, nous sommes dans la première phase de cette Commission. Mais étant
données les révélations qui se succèdent à propos de l’ancien président, il est
évident que nous allons très vite nous diriger vers la question purement
juridique. Il faut que justice soit faite.
Yahya
Jammeh est actuellement en exil en Guinée équatoriale. Nous sommes évidemment
conscients que son cas sera ardu, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la CPI
nous avait dit que la Gambie n’a pas les infrastructures nécessaires pour le
juger. Aujourd’hui cependant, face aux révélations, le pays a la volonté
d’aller de l’avant en développant ses institutions judiciaires. Ensuite,
puisqu’il est reclus à Malabo, il sera évidemment difficile de l’arrêter, même
sous le coup d’un mandat d’arrêt international.
Mais
nous ne perdons pas espoir. Nous continuons à négocier et à faire pression. Un
jour, il fera une erreur. Il se rendra là où il ne devrait pas. Ce jour-là, il
se fera arrêter.