L'Union Européenne a recensé 9 000 arrivées de migrants gambiens en 2023, contre le retour de 600 d'entre eux à Banjul, qui, selon elle, ont épuisé les recours légaux pour rester en Europe. Ces retours ont été effectués par de nombreux vols affrétés et des vols commerciaux réguliers de l'UE vers la Gambie, étalés sur une période de sept ans.
« Nous perdons beaucoup de travailleurs qualifiés au profit de l'Europe, y compris les meilleurs cerveaux et les hommes valides qui sont censés travailler dans ce pays. Cela conduit également à la perte de cerveaux éduqués, soit par le biais de formations à l'étranger, soit en cherchant des opportunités d'emploi là-bas », a déclaré M. Essa Njie, professeur à l'Université de Gambie (UTG) et actuellement candidat au doctorat en éducation tertiaire à l'Université de Denver, aux États-Unis.
Mr Abdoulie Kurang, également chargé de cours à l'Unité d'Etudes sur le Développement de l'Université de la Gambie, a déploré cet exode, le jugeant alarmant pour la Gambie : « ...les promesses non tenues du régime politique en place en matière de lutte contre la pauvreté, le chômage, la corruption et de stimulation de la croissance se sont traduites par une désillusion croissante chez les jeunes Gambiens. Cette situation a engendré une nouvelle dynamique d'émigration massive de Gambiens qualifiés et éduqués. En d'autres termes, les cerveaux nécessaires pour stimuler le développement de la Gambie ».
Mr Kurang, qui est également doctorant à la School of Oriental and African Studies (SOAS) (École des Etudes Orientales et Africaines) de l'Université de Londres, a déclaré que la migration massive des jeunes Gambiens vers l'Europe et l'Amérique est liée à des déficits de longue date en matière de gouvernance et de développement dans le pays. Il a cité le scénario de 2011, lorsque le conflit civil en Libye a ouvert la voie au trafic d'êtres humains - la Gambie figurait parmi les cinq premières nations pour le nombre de citoyens traversant la Méditerranée de la Libye à l'Italie.
Cette dynamique d'émigrants se composait en grande partie de jeunes semi-qualifiés, au chômage ou sous-employés. Selon M. Kurang, les vulnérabilités sociales causées par la pauvreté et le chômage ont souvent été citées comme des facteurs favorisant cette tendance. En outre, les violations des droits de l'Homme qui ont caractérisé les 22 années de règne de Jammeh ont poussé les jeunes désillusionnés à partir à l'étranger. Par conséquent, la résurgence d'une tendance similaire sept ans après le début de la transition politique n'augure rien de bon pour les politiques actuelles du gouvernement en matière de lutte contre la migration des jeunes vers l'Europe.
Mr Essa Njie a également ajouté sa voix : « Ce n'est nullement une situation idéale pour le pays, car nous avons besoin que les jeunes restent chez eux et contribuent au développement, mais seulement lorsque l'environnement économique adéquat est créé pour qu'ils puissent exceller, exploiter leur potentiel et être motivés pour rester et gagner décemment leur vie dans leur propre pays... »
« Mais si ces éléments font défaut, en raison de l'inefficacité et de la corruption des dirigeants en place, nous n'attendons rien d'autre qu'un exode massif des jeunes à la recherche d'une vie meilleure. Rester dans leur pays d'origine dans de telles conditions ne fait que les encourager à participer à des soulèvements populaires, à des bouleversements politiques ou à des crimes de rue comme le vol, le banditisme ou la drogue, d'où l'augmentation des taux de criminalité », a élucidé M. Njie.
Même si les transferts de fonds contribuent à environ 50 % du produit intérieur brut du pays, ces deux experts affirment que cela ne compense aucunement la perte de milliers de vies humaines au cours de ces périlleux voyages vers l'Europe. Des dizaines de bateaux de migrants qui ont quitté les côtes de la Gambie pour l'Europe n'ont jamais atteint leur destination et n'ont été retrouvés nulle part ailleurs. Des milliers de squelettes jalonnent les routes du désert à travers le Sahara, sans compter ceux qui sont piégés ailleurs en Libye ou dans d'autres pays côtiers bordant la mer Rouge.
« Nous avons souvent tendance à nous focaliser sur les envois de fonds des jeunes de la diaspora, en oubliant les milliers de vies perdues au cours de ces périlleux voyages. Dans quelle mesure réussissent-ils en Europe ? Combien d'entre eux ont réussi à cultiver une vie productive en Europe... ou ont réussi à améliorer le niveau de vie de leur famille et leur situation financière dans leur pays d'origine ? Cette migration ne fait que contribuer à la pauvreté intergénérationnelle en Gambie, à quelques rares exceptions près », a révélé Mr Essa Njie.
En 2016, avec la naissance de la Nouvelle Gambie (surnommée localement, mais signifiant l'aube de la gouvernance démocratique et du développement), ce phénomène a semblé marquer une pause. Pour les masses, la nouvelle Gambie était plus qu'un changement de régime, c’était l'espoir d'un avenir prospère caractérisé par la gouvernance démocratique, la croissance économique et le progrès social, selon Mr Kurang.
Il accuse la mauvaise gouvernance et le sous-développement d'être les facteurs persistants qui poussent les jeunes Gambiens à émigrer.