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TITRE : DITES-NOUS QUELLE EST NOTRE IDENTITE, S’IL VOUS PLAIT !

Dec 17, 2019, 12:23 PM

A vos Excellences, Messieurs les Présidents SALL et Barrow,

Ils y a quelques jours, des dizaines de jeunes hommes et femmes périssaient au large de Nouadhibou en Mauritanie et quelques-uns en furent sauvés. Ils avaient pris la mer pour se rendre en Europe dans l’espoir d’un meilleur destin. Dans les fragiles pirogues, qui les menaient vers le rêve européen qu’ils avaient en commun, il y avait indistinctement des Gambiens et des Sénégalais. Les flots les avaient charriés sur le rivage sans distinction de nationalité. Leur mort a plongé des centaines de familles dans le désarroi. Des Gambiens sont allés au Sénégal pour les obsèques des jeunes Sénégalais morts. Des Sénégalais ont fait le chemin inverse. Ils sont allés en Gambie pour les obsèques des jeunes Gambiens ayant disparu dans cette « tragédie » comme l’a nommée le Président Barrow.

En effet, cette tragédie nous est commune. Tout le monde en souffre. Mais je sais aussi que, parallèlement, des milliers de Gambiens et Sénégalais partagent ce qu’ils ont de plus cher : époux et enfants ; terre et ciel ; fleuves et mers ; clients et marchands ; routes et marchés. Ils passent d’une frontière à l’autre pour célébrer leurs mariages, leurs marabouts, leurs saints, bref, les personnes et les événements qui leur sont chers.

Il y a quelques mois, j’ai regardé avec beaucoup d’émotion, jusqu’à tard dans la nuit du lundi 21 janvier 2019, les images de l’inauguration du pont dit de la Sénégambie sur le fleuve Gambie. J’étais d’autant plus ému que ces images étaient réalisées conjointement par la RTS (Sénégal) et la GRTS (Gambie). Et vous étiez là, tous les deux, l’un, M. Macky Sall, Président du Sénégal, à côté de l’autre, M. Adama Barrow, Président de la Gambie.

Ces deux exemples, et tant d’autres au quotidien, sont des symboles de la communauté de destin entre les deux peuples sénégalais et gambien : notre proximité et notre parenté.

Ce jour-là, tous les deux, Excellences M. Macky Sall et M. Adama Barrow, vous aviez en face de vous, euphoriques, les deux peuples gambien et sénégalais, divisés par deux légalités enfermées dans leurs frontières, mais unis par la nature qui, elle, transcende tout enfermement. Et c’est à ce niveau que je vous interpelle, Excellences Messieurs les Présidents, et à travers vous les peuples sénégalais et gambien.

Je suis né en Gambie, de parents tous les deux gambiens. Nous ne cessons de répéter que « tous les Sénégalais ont des parents en Gambie » et « tous les Gambiens ont des parents au Sénégal ». Je suis « déclaré Sénégalais né au Sénégal » à l’âge de quatre ans. Tout le monde sait, au Sénégal comme en Gambie, qu’il y a des milliers de Sénégalais nés en Gambie de parents gambiens et des milliers de Gambiens nés au Sénégal de parents sénégalais. Ceux-là n’ont pas choisi leurs pays de naissance encore moins leurs parents. Même pas leurs nationalité et, quelques fois même… leurs noms de familles.

Messieurs les Présidents, ce jour-là, nos deux peuples vous ont reçus dans la joie, une grande ferveur et un immense espoir. Nous les Sénégalais et les Gambiens que vous y avez représentés, avons éprouvé les mêmes sentiments d’espoir. Je pense que même la communauté internationale, consciente de la volonté des deux gouvernements désormais assumée de collaboration franche de l’un vis-à-vis de l’autre, observe avec plus d’égard le renouveau dans les liens entre les deux pays.

Toutefois, Excellences, je me permets, comme depuis plusieurs années, d’émettre le sentiment que les « autres citoyens » de mon genre, nous sommes ceux dont on ne parle pas. Personne n’en parle. Pour nos gouvernants, c’est une problématique qu’il ne faut pas soulever en raison de ses sensibilités et complexité. Nos parents non plus, tant qu’ils peuvent nous établir des papiers officiels sur la base de « fausses déclarations » (parents, nom de famille, date et lieu de naissance). En Gambie nous sommes Sénégalais ; et au Sénégal nous sommes Gambiens. Et nos lois nous interdisent l’une des nationalités qui est pourtant celle de nos parents. Alors, qui sommes-nous ? Qui devrions-nous être ? De quoi sommes-nous coupables pour subir un tel sort ?

Il est tant que les citoyens conscients en parlent. Il est tant que les gouvernants des deux Etats affrontent cette problématique avec courage et responsabilité. Entre le République Démocratique du Congo et le Rwanda, s’est posé le débat, non ! le conflit autour de la notion de « Banyamulenge ». En Centrafrique, il y a le débat autour des Musulmans du Nord accusés d’être des Tchadiens. En Côte-d’Ivoire, les patronymes malinké sont automatiquement assimilés à la nationalité Burkinabe ou malienne. Le Sénégal a-t-il oublié la crise de 1989 avec des milliers de Mauritaniens victimes d’apatridie du fait de la couleur de leur peau ou de la consonance de leurs noms ? Bon, n’exagérons pas.

Mais attention, le monde évolue. L’identification et la « patrification » des individus dans une nation évoluent, avec de plus en plus la dématérialisation des fichiers d’identification nationale. Dans deux pays où la double nationalité est quasiment un délit (nos constitutions en sont très claires), inutile de dire que nous passerons forcément pour des délinquants, des usurpateurs d’identités et aux bouts de quelques procédures, nous finirons par être des apatrides.

Je vis au Sénégal depuis plus de quarante ans, je suis fonctionnaire depuis plus de vingt ans et, je suis à un chef de service depuis plus de cinq ans. En revanche, je suis né en Gambie, j’y vais plusieurs fois par an, mais je ne peux avoir le même statut que mes frères et sœurs. Faute de papiers, je ne pourrais hériter légalement et facilement des trésors que mes parents m’ont fièrement légués.

Mon frère aîné « exige » que mes enfants passent les vacances scolaires chez lui, en Gambie, sur les terres de leurs grands-parents. Mes enfants eux-mêmes en sont toujours impatients et leurs oncles et tantes s’extasient de les accueillir. Evidemment, pour les frères et sœurs dans les Kombos ou Niumis ou Badidbu en Gambie, pour les oncles et tantes au Fouta, au au Walo ou au Sine-Saloum au Sénégal, pour les grands-parents au Fogni, Blouf ou Balantakunda en Casamance, ceux qu’ils reçoivent ne sont pas à priori des Gambiens ou des Sénégalais, ce sont d’abord leurs enfants, des personnes de leur sang.

Excellences Messieurs les Présidents, beaucoup de ceux qui vous ont accueillis à Faraféni, comme l’an dernier à Yundum Airport, sont dans la même situation, dans notre situation « informelle », de précarité. L’informel étant destiné à être provisoire, commencez ensemble à penser à ce que nous sommes, à ce que nous serons de même que nos enfants, à notre identité : nous souhaitons être légalement reconnus par nos parents. Quels codes de nationalités au Sénégal et en Gambie ? là est une question urgente.

Pensez à un système scolaire qui prenne en charge l’importante colonie sénégalaise de Banjul à Koina, en passant par Sérékunda, Brikama, Faraféni, Basse et surtout mon Kombo/South natal de Tanji à Gunjur. Ce faisant, les Sénégalais en Gambie s’assureront un suivi éducatif de qualité. Et les Gambiens qui le souhaitent pourront en profiter pour renforcer leur proximité avec leurs parents sénégalais par l’éducation. La mondialisation en cours s’opérera plus aisément, notamment entre les deux administrations gambienne et sénégalaise et les deux peuples eux-mêmes qui, il faut le regretter se regardent quelques fois avec défiance, condescendance et même mépris.

Pensez aux communications téléphoniques excessivement chères entre nos deux pays. Comment comprendre qu’à partir du Sénégal, appeler en Gambie, pays frère, coûte presque deux fois plus cher qu’appeler en Angleterre.

Rappelons encore, comme toujours, qu’il s’agit de « de deux peuples de la même nation ».

Par Youssouph DIATTA .Lycée de Passy Sénégal / Le 14-12-2019