Que
viennent faire des autruches dans une ferme en Gambie ? L’oiseau n’est pas
présent dans le pays à l’état sauvage et les derniers spécimens aperçus
jusqu’ici étaient parqués dans le zoo de l’ancien président Yahya Jammeh, au
pouvoir de 1994 à 2017… Cet élevage est en fait une innovation du centre
Songhaï de Chamen, un village à une vingtaine de kilomètres de Banjul, la
capitale. Une dizaine de volatiles ont été importés du Mali. Une fierté pour
Kebba Lang Camara, l’un des responsables du camp. « Je pense qu’aujourd’hui
nous avons le plus grand troupeau de Gambie ! », vante-t-il. Les autruches sont
censées éveiller la curiosité des étudiants du centre, en les invitant à penser
« out of the box », comme disent les managers – hors des sentiers battus. Car
il n’y a pas que le manioc et le riz dans la vie.
Telle est l’une des philosophies de cette ferme modèle qui fait office de centre de formation. Ouverte en 2015 sur le modèle du centre Songhaï de Porto-Novo, créé en 1985 au Bénin, et soutenue financièrement par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), elle vise à développer l’entrepreneuriat agricole et, à long terme, à réduire le chômage des jeunes, combattre la pauvreté et améliorer la production agricole locale. En Gambie, petit Etat de 2,2 millions d’habitants, les deux tiers de la population active travaillent dans les campagnes. Mais cette agriculture de subsistance ne permet de produire que la moitié des besoins alimentaires du pays. Le reste est importé. Chez les épiciers de quartier, c’est du riz américain qui est proposé en vrac.
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Après quatre ans d’activité, le centre Songhaï de Chamen continue d’expérimenter. Les élèves apprennent à installer des systèmes d’irrigation efficaces et à produire des semences de qualité pour obtenir de meilleurs rendements. C’est une petite révolution agricole 100 % bio qui se joue dans ce microcosme, car l’école exige une agriculture respectueuse de l’environnement. « Les jeunes doivent savoir qu’ils ont un grand rôle à jouer », encourage Kebba Lang Camara, qui fait figure de sage. « J’ai 63 ans, je ne serai bientôt plus de ce monde. On leur demande d’être motivés et honnêtes dans leur travail », synthétise cet ancien député retourné à la terre, comme lors de ses jeunes années.
Une promo de 40 étudiants
Les apprentis commencent leur journée à 7 h 30, quand le soleil chauffe raisonnablement. Il faut s’occuper des volailles, des moutons, des chevaux, réparer les tuyaux, arroser la terre… Il faut aussi vendre les produits sur le marché. En fin de journée, un bus scolaire vient ainsi récupérer Nyimansatou Cham dans la ville de Farafenni, à 10 km de Chamen. La jeune fille y a vendu du manioc et des fruits de baobab, mais elle préfère être dans l’enclos des animaux que derrière la caisse. Se délectant d’une crème glacée qui lui fond sur le pantalon, elle raconte son rêve de devenir vétérinaire : « Je suis venue ici pour chercher une formation qui puisse me permettre d’être indépendante. Ici, tu as la chance d’apprendre à la fois la théorie et la pratique. »
Réunis dans la pénombre d’une salle de classe, les élèves fixent une multitude de chiffres inscrits sur un tableau quadrillé. Ils apprennent les portions de nourriture à donner aux animaux en fonction de leur âge. La théorie agricole, comme l’ensemençage, représente un quart du temps d’apprentissage d’une formation qui dure un an et accueille 40 étudiants (pour 1 000 candidats l’année dernière), sélectionnés sur entretien. Il faut savoir lire et écrire. Deux nouveaux bâtiments sont en construction et seront bientôt mis en service pour héberger deux promotions supplémentaires. D’ici à 2020, 120 élèves seront formés chaque année pour devenir des techniciens agricoles.
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Quelle vie après le centre ? Un rapport est en cours d’écriture pour connaître les profils des 200 anciens élèves. Premier enseignement : il est difficile pour les jeunes diplômés d’ouvrir leur propre ferme. « Le grand défi à relever, c’est le capital financier », résume Sherrifo Sawo, chargé de mission à Chamen. A la fin de leurs études, le centre verse 12 000 dalasi (environ 210 euros) aux élèves, « ce qui est assurément insuffisant », admet-il. « Il faudrait une subvention d’au moins 5 000 dollars [plus de 4 500 euros] pour lancer une activité », estime Abdou Touray, chargé de projet pour le PNUD.
Rivaliser d’ingéniosité
Selon lui, les entraves financières à l’entrepreneuriat sont structurelles : « La microfinance est à peine naissante en Gambie, les taux d’emprunt sont très élevés et le gouvernement n’a prévu aucun fonds spécial pour soutenir les étudiants qui ont un savoir-faire. » Néanmoins, le PNUD voit dans le centre Songhaï un modèle pour lutter contre le chômage des jeunes, qui s’élève à 41,5 % selon une étude récente du Bureau gambien des statistiques. « Bien que la majorité des jeunes ne peuvent pas ouvrir leur ferme, ils sont employés par des fermes privées et ils sont bien payés », assure Abdou Touray.
Dans une parcelle du centre en cours de bêchage, Bakary Diatta retourne la terre sous un soleil asséchant. « Je n’avais pas l’intention de revenir, explique cet homme de 29 ans issu de la promotion 2016. Je voulais terminer la formation et rentrer chez moi pour lancer ma propre activité. Si seulement j’avais les finances… Mais aujourd’hui, je n’ai pas assez d’argent. » Bakary Diatta a été embauché comme responsable de l’élevage des volailles, l’occasion de parfaire sa formation tout en gagnant 6 000 dalasi par mois. Ici, la nourriture des animaux est produite sur place ; mais plus tard, s’il veut élever des volailles en grande quantité, Bakary Diatta aura besoin d’importer des céréales depuis le Sénégal.
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Comme lui, les élèves du centre vont devoir rivaliser d’ingéniosité pour relever les défis qui s’imposent en Gambie. Mais « avec peu de moyens, on peut faire de grandes choses », relativise David Boko, technicien agricole envoyé par le centre Songhaï de Porto-Novo. Le Béninois veille à l’amélioration du centre de Chamen et encourage ses élèves. « Il manque un peu d’implication des apprenants, regrette-t-il, mais les élèves formés ici seront des messagers pour diffuser cet enseignement partout dans le pays. Et d’ici quelques années, nous aurons des producteurs plus efficaces. » Si la Gambie est une terre de conquête agricole, les apprentis du centre Songhaï en sont les missionnaires.
Sommaire de la série « En Afrique, les champs de l’espoir »
Malgré l’engagement pris à l’échelle internationale d’éradiquer d’ici à 2030 l’extrême pauvreté, l’Afrique concentre toujours plus de la moitié des pauvres du monde. Parce que cette bataille planétaire sera perdue ou gagnée sur le continent, Le Monde Afrique est parti explorer les solutions mises en œuvre, dans divers pays africains, pour tenter de venir à bout de la grande misère. Le quatrième volet de notre série se penche sur les défis que doit relever l’agriculture en Afrique, où l’insécurité alimentaire sévit à grande échelle et dont la population vit encore majoritairement dans les campagnes.