oincée sur une superficie de plus de 200 hectares à la périphérie de Dakar, sur le lac du même nom, la décharge de Mbeubeuss suscite à la fois, le désespoir des populations riveraines, dont la vie est polluée par les odeurs et les fumées, mais aussi l’espoir d’une large communauté de récupérateurs communément appelés “boudioumanes”.
A surtout lire sur BBC Afrique :
En visitant le site, BBC Afrique a pu rencontrer plusieurs de ces récupérateurs. Cependant, invoquant la stigmatisation dont ils peuvent faire l’objet en raison de leur métier, ils ont demandé à ne pas être cités nommément.
“Qu’il vente ou qu’il pleuve, nous sommes obligés de venir”
Un camion de l’UCG sur la plateforme Yemen
Un camion de l’UCG sur la plateforme Yemen
Parmi les nombreuses femmes qui s’activent à Mbeubeuss, il y a celle que nous appellerons ici Fatou. Elle dit être obligée d’y venir tous les jours pour que ses enfants n’aient pas faim.
Drapée dans un tissu fleuré aux couleurs noir et violet, un bonnet noir en laine savamment vissé sur la tête, un masque noir laissant seulement entrevoir de son visage ses yeux fatigués, Fatou arpente, avec ses bottes noires, les tas d’ordures dispersés ça et là.
De loin, son pantalon noir et son allure d’homme lui donnent l’impression d’être investie d’une mission guerrière.
En effet, les difficultés de la vie ont obligé cette femme à prendre son destin en main.
“C’est la faim et le désespoir qui nous conduit ici. On y rentre par obligation. Le travail est très dur. Souvent, tu n’as même pas de quoi manger”, explique-t-elle.
“Quand les véhicules arrivent, tu cours après pour avoir quelque chose. C’est un travail très dangereux. Tu peux obtenir à peine un à deux colis de matériaux récupérés. Chaque jour, tu peux avoir 4000 ou 5000 FCFA”, révèle-t-elle.
Mère de famille, Fatou se dit obligée de se battre pour l’entretenir.
“J’ai plusieurs enfants qui comptent tous sur moi pour survivre. C’est une situation extrême. Je ne veux pas dévoiler mon identité ni mon lieu de résidence. J’habite avec des paires à qui je ne peux pas dévoiler mon activité à Mbeubeuss, pour éviter la stigmatisation”, dit-elle.
Mbeubeuss, un risque écologique et sanitaire ?
Vue de la plateforme Yemen au coeur de Mbeubeuss
Vue de la plateforme Yemen au coeur de Mbeubeuss
Certains habitants des environs de la décharge ont même déménagé pour fuir la fumée, les feux et les odeurs ambiants. D’autres sont restés et mènent le combat pour faire déguerpir Mbeubeuss pour le bien-être des résidents.
L’ingénieur topographe Papa Mamadou Diouf est de ceux-là.
Président de l’association pour l’entraide et le développement des Parcelles assainies de l’unité 6 de Keur Massar, il est aussi membre du Collectif pour la fermeture de Mbeubeuss.
- Diouf a souligné, entre autres problèmes, la pollution de la nappe phréatique qui affecte les activités maraichères et l’élevage pratiqués autour de la décharge.
“Le lac qui jadis était un point d’approvisionnement en eau des populations est aussi pollué. Certaines populations continuent d’utiliser cette eau même s’il représente un danger pour leur santé”, souligne-t-il.
“Il y a également le problème de la fumée qui peut s’étendre jusqu’à un rayon de quatre kilomètres. Toutes les personnes vivant dans ce rayon sont directement impactées par cette décharge sauvage de Mbeubeuss”, plaide M. Diouf.
Papa Mamadou Diouf est convaincu que “si on continue d’y déverser des ordures, on va exercer une certaine pression sur les parois du bassin ; ce qui va se traduire par une infiltration et un drainage difficile des eaux venant du continent qui devaient finir dans le lac”.
Mbeubeuss, source des inondations à Keur Massar ?
Un homme portant ses affaires dans un sac en plastic lors des inondations le 20 août 2021 à Keur Massar
Un homme portant ses affaires dans un sac en plastic lors des inondations le 20 août 2021 à Keur Massar
“Mbeubeuss est devenu un problème d’ordre national et je voudrais attirer l’attention de l’opinion sur le lien qui existe entre cette décharge sauvage et les inondations à Keur Massar”, soutient Papa Mamadou Diouf.
Pour un peu de contexte pour les lecteurs non familiers du Sénégal, ajouter ici un paragraphe sur les inondations à Keur Massar (impact) + photo ?
Papa Mamadou Diouf est convaincu que “si on continue d déverser des ordures, on va exercer une certaine pression sur les parois du bassin ; ce qui va se traduire par une infiltration et un drainage difficile des eaux venant du continent qui devaient finir dans le lac”.
“Mbeubeuss est actuellement sur un lac qui reçoit pratiquement toutes les ordures de la région de Dakar. Au début la superficie des ordures avoisinait 54 hectares. Mais entre 2008 et 2021, la décharge s’est agrandie au point d’atteindre 130 hectares”, dit-il.
Selon lui, 130 hectares sont aujourd’hui défalqués de la superficie totale du lac qui tourne aux alentours de 230 hectares.
“Au fur et à mesure qu’on avance, il y a une progression de la décharge et une diminution de la superficie du bassin qui est un point de convergence de toutes les eaux venant du continent, de la région de Dakar”, avance le jeune ingénieur.
Pourquoi la décharge n’a pas été délocalisée ou fermée ?
L’Etat va mettre un centre de compostage et un centre de tri à Mbeubeuss
L’Etat va mettre un centre de compostage et un centre de tri à Mbeubeuss
Ce problème écologique, sera résolu à long terme, selon les prévisions de l’Etat du Sénégal qui a décidé de suspendre le projet de délocalisation de la décharge.
“L’Etat avait deux options dont la première était de fermer la décharge et de construire d’autres infrastructures ailleurs à exploiter conformément aux normes environnementales”, explique M. Abdou Dieng, coordonnateur de l’UCG à la décharge de Mbeubeuss.
Cependant, dit-il, “l’Etat a fait un choix beaucoup plus intéressant en investissant dans un projet de résorption de la décharge, c’est-à-dire mettre en place des infrastructures comme un centre de compostage et un centre de tri”.
Qu’est-ce que l’Etat du Sénégal prévoit de faire sur le site
Le projet consiste à faire un terrassement au centre des déchets sur place à Mbeubeuss, en mettant une couche de sable, de la géomembrane pour éviter l’infiltration des eaux de pluies qui créent du lixiviat.
Mme Pod Estelle Ndour, Chef du service Stratégies et développement de l’UCG
Mme Pod Estelle Ndour, Chef du service Stratégies et développement de l’UCG
Le Projet de Promotion de la Gestion intégrée et de l’Economie des Déchets solides au Sénégal (PROMOGED), un ambitieux projet de modernisation financé à hauteur de 200 milliards FCFA, suscite déjà beaucoup d’espoir.
“A un moment donné, il y a eu beaucoup de nuisances et on a eu de nombreuses plaintes, par exemple au niveau de la fumée, mais également de la délinquance au niveau de la décharge”, nous dit Mme Pod Estelle Ndour, la cheffe du service Stratégies et développement de l’UCG.
Depuis deux ans, rappelle-t-elle, un nouveau système est mis en place pour améliorer l’environnement de vie au niveau de la décharge.
“Avec le PROMOGED, on va mettre en place un réseau pour drainer ces eaux vers des bassins de lixiviats qui pourraient être traités. Les eaux de pluies qui pourront potentiellement ruisseler vers les populations qui habitent alentour vont être captées pour être traitées sur le site”, annonce-t-elle.
Selon Mme Ndour, l’UCG évite de faire un étalement des déchets sur le site pour ne pas augmenter la pollution des eaux superficielles et souterraines.